dimanche 24 février 2008

Le cinéma indépendant aux USA - partie II

Posted in by Agate | Edit
Suite et fin de l'article de Kenneth Turan à propos de l'essor du cinéma indépendant américain :

L'accent sur la création artistique

Lorsqu'un film coûte plus de 100 millions de dollars à réaliser, comme c'est généralement le cas à Hollywood, il faut qu'il attire le public le plus large possible, non seulement aux États-Unis mais également dans le monde entier, afin de rentabiliser les sommes investies. Cela veut dire qu'il faut privilégier l'action - facteur numéro un de séduction du public partout dans le monde - ainsi que les éléments qui plaisent aux moins de 25 ans, qui constituent la majorité des spectateurs.

Les films indépendants, en revanche, coûtent beaucoup moins cher à réaliser : de quelques milliers de dollars à 15 ou 20 millions. Bien que cela puisse sembler beaucoup, ce n'est pas grand-chose comparé aux budgets de Hollywood. Ces budgets plus bas donnent aux films indépendants la liberté d'être plus personnels et plus originaux et de mettre l'accent sur les personnages et l'histoire à raconter plutôt que sur des explosions. Ces films peuvent alors privilégier l'expression artistique et personnelle en se souciant moins de leur rentabilité commerciale, ce qui explique, entre autres, pourquoi ils ont généralement plus de succès aux Oscars que les grandes productions commerciales.

Si un cinéphile américain souhaitait avoir ce genre d'expérience cinématographique il y a quarante ou cinquante ans, il n'avait d'autre choix que de se tourner vers le cinéma étranger. C'est l'une des raisons pour lesquelles les films français, italiens, japonais, scandinaves et autres ont connu un succès croissant aux États-Unis dans les années 1950 et 1960.

Le cinéma indépendant qui a permis aux spectateurs américains de voir ce genre de films dans leur propre langue n'est pas né du jour au lendemain. L'acteur et réalisateur John Cassavetes, aujourd'hui décédé, (le seul cinéaste en l'honneur duquel un prix des Independent Spirit Awards a été nommé) faisait déjà des films de style indépendant en 1957, date de réalisation du légendaire Shadows.


John Cassavetes et Peter Falk

On considère souvent que The Return of the Secaucus Seven, réalisé par John Sayles en 1980, marque le début du cinéma indépendant moderne. La production de ce film a coûté 60.000 dollars, que le réalisateur a réunis en partie en réécrivant des scénarios de films de Hollywood, et a rapporté 2 millions de dollars. Pour la première fois, il est apparu qu'il était possible de concilier succès commercial et créativité en dehors des studios de Hollywood.

La montée du cinéma indépendant

Deux autres films, distribués par Miramax, géant mondial du cinéma indépendant créé par Harvey Weinstein et son frère Bob et nommé en l'honneur de leurs parents, ont prouvé que les films indépendants faisaient désormais partie du paysage cinématographique. En 1989, Sexe, mensonges et vidéo, de Steven Soderbergh, a remporté le Prix du Grand Jury du festival de Sundance et ensuite la Palme d'or du festival de Cannes, établissant ainsi la réputation du cinéma américain indépendant à l'échelle internationale.

Pulp Fiction, de Quentin Tarantino, a fait mieux encore, non seulement en remportant la Palme d'or à Cannes en 1994, mais aussi en étant le premier film indépendant à réaliser plus de 100 millions de dollars de recettes, ce qui a confirmé le flair dont avait fait preuve Disney en achetant Miramax l'année précédente.

Comprenant que les films indépendants étaient trop différents pour être réalisés par leurs équipes cinématographiques habituelles, tous les studios hollywoodiens se sont vite dotés d'une section indépendante. Citons parmi ces « divisions spécialisées », comme on les appelle dans la profession, Fox Searchlight, Warner Independent Pictures, Universal Focus et le vénérable Sony Pictures Classics.



Ces divisions spécialisées réalisent des films indépendants haut de gamme, bénéficiant des plus gros budgets et des stars les plus célèbres. Ils ressemblent parfois aux films de Hollywood mais, en fait, ne pourraient plus être réalisés par les studios hollywoodiens. Little Miss Sunshine en est un parfait exemple. Bien qu'il ait obtenu une nomination aux Oscars pour le meilleur film et ait remporté l'Oscar du meilleur scénario en février 2007, ce film avait été refusé à de nombreuses reprises par les principaux studios hollywoodiens.

Les films indépendants peuvent non seulement permettre d'exprimer une sensibilité différente, mais également représenter différents groupes et raconter différents types d'histoires. Parce que ces films ne coûtent pas nécessairement une fortune, c'est dans le cinéma indépendant que des réalisateurs noirs américains comme Spike Lee, et des réalisateurs gay comme Gregg Araki, ont pu faire des films qui traitent de personnages marginalisés mais susceptibles d'intéresser un large public.

L'impact du numérique

Le facteur coût contribue également à l'importance croissante des documentaires indépendants. À l'heure actuelle, les documentaires de ce type se multiplient et n'ont jamais été vus par autant de spectateurs. Il y a plusieurs raisons à cela, mais la principale tient au fait que le faible coût du matériel numérique permet aux réalisateurs de produire eux-mêmes leurs documentaires.

Scott Hamilton Kennedy, réalisateur de clips vidéo et de films commerciaux, est un bon exemple. Il n'aurait jamais réalisé le documentaire OT : Our Town s'il n'avait pas rencontré l'enseignante qui montait une pièce de théâtre de Thornton Wilder dans un lycée californien. Lorsqu'elle lui a parlé du projet, il a compris qu'il lui fallait filmer la situation à tout prix. « Je n'ai jamais essayé de mobiliser des fonds ou de constituer une équipe de tournage, explique-t-il. Je savais que si l'on perdait du temps à faire cela, ce moment passerait sans laisser de traces. »

Scott Hamilton Kennedy est donc allé dans ce lycée avec une caméra à l'allure si modeste qu'elle donnait l'impression, dit-il, d'avoir été achetée dans une chaîne de magasins d'électronique grand public. Grâce à ce matériel peu intimidant, les élèves étaient détendus en sa présence, ce qui a contribué à créer l'intimité et la confiance qui font la force du film. L'indépendance financière permet de mener une réflexion indépendante qui donne certains des meilleurs films vus aux États-Unis depuis longtemps.


Kenneth Turan
source : Extrait de "eJournal USA" L'industrie du cinéma aujourd'hui